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lundi 4 juin 2012

Violoncelle et piano: SONATE ROMANESQUE / Partition gratuite

SONATE ROMANESQUE
Ou : Surmonter la violence et la fragmentation

Extrait PDF gratuit: les mouvements 3 et 4 de Sonate Romanesque:
Partie de violoncelle:  
Partie de piano:

La partition complète, avec la partie séparée de violoncelle, est disponible au Centre de musique canadienne:

Contact:  atelier@cmccanada.org  ou / or  quebec@cmccanada.org
 
Cinq mouvements enchaînés :
1. Romantique
2. Ondoyant (Solo pour piano)
3. Intérieur
4. Fantasque (Solo pour violoncelle)
5. Avec élan
Durée approximative : 20 minutes
Niveau de difficulté: 7-8/10

Caspar David Friedrich: Le Voyageur contemplant une mer de nuages (1818)
[Source: Wikipédia]


 Pour une introduction au cycle des trois Sonates pour violoncelle et piano:

 https://antoine-ouellette.blogspot.com/p/les-trois-sonates-pour-violoncelle-et.html

 
 La Sonate romanesque constitue le porche d’entrée de mon œuvre de compositeur. Je l’ai terminée en 1979, à l’âge de 18 ans. Mais j’avais composé plusieurs autres pièces auparavant! Au moins une vingtaine, peut-être davantage.

            J’avais commencé à composer à 12 ans, soit au moment même où je subissais l’enfer de l’intimidation à l’école (voir le livre Musique autiste). J’avais trouvé dans la composition de quoi me créer un jardin secret, une oasis de beauté que je cultivais patiemment en marge de la violence. Dans ce monde imaginaire, personne ne pouvait m’atteindre. Sans lui, je ne sais pas si j’aurais pu survivre. Tout cela a marqué ma musique et constitue une des sources de sa singularité. Elle vient d’un rescapé, de quelqu’un qui n’aurait plus dû être là. Elle est rarement violente, mais la violence lui est ce que la Lune est à la Terre, une sorte de jumelle étrange en orbite autour d’elle et créant des marées.  Car ce refuge n’est pas un paradis rassurant : quelque chose en cette musique porte l’écho des souffrances liées au stress post-traumatique. Elle ne peut traduire un sentiment de confort sans nuage ni de paix parfaite.

J’ai commencé à composer avant d’avoir pris mes premières véritables leçons de musique. Tout ce que je possédais alors était le maigre bagage fourni par les cours de flûte à bec de l’école primaire. Maigre bagage en effet : je ne savais même pas que le piano se note sur deux portées! Ces pièces étaient naïves et maladroites: de l'art brut. Un trait curieux s’y exprimait, notamment dans un Trio pour flûte à bec, xylophone et piano: plutôt que de présenter une mélodie de façon continue, je la morcelais en tout petits fragments que je confiais en succession aux trois instruments. Par exemple, cette brève mélodie…


… sera instrumenté ainsi :

Vers mes vingt ans, j’ai encore commencé une pièce pour orchestre utilisant le même morcellement mélodique. Cette technique se retrouve dans la polyphonie médiévale sous le nom amusant de hoquet, ou encore chez Anton Webern à propos de qui les musicologues parlent de pointillisme. Or, au moment où j’ai composé ce Trio, je ne connaissais pas ces musiques : il n’y a donc eu là aucune influence. Cela venait peut-être de la tendance de l’esprit autiste à accorder davantage d’attention aux détails qu’à l’ensemble. C’est connu : les autistes s’intéressent d’abord aux détails plutôt qu’aux ensembles. Ils laissent le sens émerger progressivement de la lente addition des détails. Mes premières pièces étaient donc, littéralement, des «collections de points».

Constatant ma nouvelle passion, mes parents m’ont offert de suivre de véritables cours de musique. En septembre 1974, j’ai commencé l’étude du piano avec Aline Pigeon. Même si je pratiquais avec assiduité, la composition constituait mon objectif véritable. À travers l’apprentissage du piano puis du violoncelle, je voulais d’abord mieux comprendre comment la musique était construite afin d’arriver à composer de la musique qui n’existait pas encore. Je ne disais à personne que je composais, pas même à mes professeurs. C’était vraiment mon monde, mon jardin secret. Ce n’est qu’à la veille de mes trente ans qu’une de mes œuvres sera jouée en public et, à vrai dire, il s’en est fallu de peu pour que cette situation se prolonge bien davantage.

L’apprentissage du violoncelle a été bénéfique : jouer d’un instrument mélodique, c’est maîtriser la continuité, la grande ligne, non seulement de la mélodie mais aussi de la forme. Dès lors, mes compositions sont devenues plus fluides et continues. L’intérêt pour les petits détails demeurera : ils foisonnent dans ma musique, mais mieux intégrés à une grande forme. Lorsque mon style aura mûri, il présentera une sorte de mariage entre des moments directionnels (lignes mélodiques soutenues, montées vers des sommets d’intensité, etc.) et des moments non directionnels (contrepoints et polyrythmes complexes, passages suspendus de contemplation sonore, ce qui donnera l’impression à certains que ma musique est «orientale»).

C’est dans ce contexte que j’ai écrit la Sonate romanesque qui réunissait les deux instruments de mon premier apprentissage musical. Quelques années après le Trio, la Sonate présente des lignes autrement soutenues, comme en témoignent déjà ses premières mesures :

(c) Antoine Ouellette Socan
 
Ou encore le début du troisième mouvement, avec sa mélodie grave, presque de style russe :

(c) Antoine Ouellette Socan

Dans sa version de 1979, la Sonate présentait de nombreuses maladresses. Je l’ai donc polie en 2001, en corrigeant et resserrant certains passages, tout en conservant son esprit. 

(c) Antoine Ouellette Socan

En 1979, la Sonate se présentait sous la forme d’un bloc unique subdivisé en trois sections enchaînées, avec une cadence de violoncelle solo faisant le pont entre les deux dernières. En 2001, j’ai conservé cette forme, mais j’y ai intégré du matériel datant d’environ la même époque et que j’avais laissé de côté, pour en faire deux mouvements «solistes» intercalés entre les sections de la version initiale : Ondoyant (pour le piano seul)…

(c) Antoine Ouellette Socan

… et Fantasque (pour le violoncelle seul: un scherzo un peu fou qui prolonge la cadence de la version initiale) :

(c) Antoine Ouellette Socan

Désormais, la Sonate se présente comme un bloc d’environ 20 minutes, subdivisé en cinq sections, les deuxième et quatrième étant les sections solistiques. Elle occupe une drôle de place dans l’ensemble de mes pièces : elle est le point de départ (Opus 1.1), mais elle fut en réalité un point d’arrivée marqué par la fragmentation surmontée. Son apparent «romantisme» est un leurre : la Sonate n’est pas «romanesque» par nostalgie mais par accomplissement, bien qu'elle demeure peu représentative de ce que sera ma musique par la suite.  
 
Source de l'illustration: Wikipédia / Domaine public PD-US